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La responsabilité médicale et les produits défectueux

Cette rubrique est assurée par R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit.

La Cour de cassation a rendu en juillet 2012 (première chambre civile, arrêt n° 916) un important arrêt en droit de la responsabilité médicale ; elle apporte des précisions importantes sur la responsabilité du fait des produits défectueux utilisés par un professionnel de santé.

A la suite d’une intervention pratiquée, le 16 juin 1999, par M. X..., chirurgien, pour hernie inguinale, M. Y... a souffert d’une atrophie du testiculaire nécessitant l’ablation de cette glande, effectuée, le 8 novembre 1999, avec pose d’une prothèse, par un autre chirurgien, M. Z... ; en raison du déplacement de la prothèse, ce chirurgien en a posé une seconde, le 20 décembre 1999. Cette seconde prothèse ayant éclaté, le 4 mars 2000, lors d’une partie de tennis, M. Y... a subi une nouvelle intervention pour la retirer, le 17 mars 2000.

 Les époux Y... ont assigné M. X..., l’assureur de celui-ci (MACSF), M. Z... et le fabricant de la prothèse (société Eurosilicone), en réparation de leurs préjudices.

L’arrêt a déclaré ;

-       M. X... responsable, pour manquement à son obligation d’information envers M. Y... à l’origine de la perte d’une chance, de moitié des conséquences dommageables de l’intervention initiale et des interventions subséquentes,

-       M. Z... et la société Eurosilicone responsables in solidum de la totalité des conséquences dommageables de la défaillance de la seconde prothèse à l’origine de sa rupture et les condamne in solidum à réparer les préjudices, en précisant que, dans leurs rapports entre eux, M. Z... et la société Eurosilicone seront tenus à parts égales

Un pourvoi en cassation est formé contre cette décision. Un premier pourvoi émane du docteur X et concerne le devoir d’information dont nous ne parlerons pas. Le deuxième pourvoi seul nous retiendra. C’est celui du docteur Z qui concerne la responsabilité du fait des produits défectueux

 

Le docteur Z. fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné in solidum avec la société Eurosilicone à indemniser les époux Y... de leurs préjudices au motif

-       Qu’il serait tenu d’une obligation de sécurité de résultat quant aux choses qu’il utilise dans la pratique de son art,

-       Que le seul fait de l’éclatement de la prothèse à l’occasion d’un sport qui n’est pas défini comme dangereux ou comportant des risques d’atteinte physique anormaux ou encore dont la pratique était déconseillée pour les porteurs d’une telle prothèse, suffit à engager sa responsabilité en l’absence d’une cause d’exonération ayant les caractéristiques de la force majeure ;

La Cour de cassation va faire droit à sa demande en affirmant que la cour d’appel a violé les articles 1147 du code civil, ensemble les articles 1386-1 à 1386-18 du code civil portant transposition de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 modifiée. Elle casse donc l’arrêt de la cour d’appel. Sa décision est abondamment motivée.

 

Elle prend en considération la directive européenne de 1985 et l’interprétation qu’en a donnée la Cour de justice de l’Union européenne qui a énoncé que cette directive déterminait ;

-       qui devait assumer la responsabilité qu’elle instituait parmi les professionnels ayant participé aux processus de fabrication et de commercialisation

-        qu’elle n’avait pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà des points qu’elle réglemente

-       Ainsi la responsabilité des prestataires de services de soins, qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou de dispositifs médicaux dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d’application de la directive et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci.

Commentaire de la décision

La décision de la Cour de cassation est d’une particulière importance en cette période marquée par le scandale des prothèses mammaires PIP. Les prothèses sont du point de vue juridique des dispositifs implantables qui relèvent de législation sur les produits défectueux. Par conséquent la solution de la Cour en ce qui concerne les prothèses testiculaires défectueuses vaut pour toutes les prothèses et donne la solution pour les procès en cours qui ont été intentés contre des chirurgiens ayant posé des prothèses PIP.

1)    Le fondement de l’action en réparation des dommages causés par un produit défectueux

Pendant longtemps il n’y a pas eu de règles propres aux dommages causés par des produits défectueux. La jurisprudence en France avait cependant mis au point un système très favorable aux victimes en créant, en ce qui concernait les produits utilisés par les professionnels, une obligation de sécurité de résultat ; il suffisait qu’un dommage survienne pour que le professionnel soit condamné à indemniser celui qui en était victime sauf à prouver que le dommage était du à un cas de force majeur (exceptionnel). La cour d’appel qui a condamné le docteur Z reprend cette jurisprudence qui avait effectivement cours au moment des faits (par ex. Civ. 1re, 22 nov.1994).

En 1985, a été adoptée une directive européenne relative à la réparation des dommages liés à l’usage des produits défectueux y compris les produits de santé moins favorable aux victimes (directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985) : délai de prescription court, limitation des personnes dont la responsabilité peut être recherchée, franchise dans les dommages aux biens etc. La France a mis longtemps à la transposer ; ce n’est qu’en 1998 que la transposition a eu lieu et les articles de la loi (loi n° 98-389 du 19 mai 1998) ont été incorporés au code civil (article 1386-1 et s.). Toutefois, le législateur en 1998 a voulu conserver le régime très favorable de la jurisprudence en donnant une option à la victime de choisir la législation la plus favorable à son cas. Autrement dit, la directive était bien souvent ignorée et les tribunaux continuaient à statuer selon les règles qu’ils avaient établies comme le montre cet arrêt.

La France a été condamnée à deux reprises pour mauvaise transposition et a dû modifier la loi de 1998 et s’incliner devant le droit européen (CJCE, 25 avril 2002, Commission européenne c/France). La loi de 1998 a été mise en conformité en 2004 (loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004). Il ne peut plus y avoir deux législations parallèles instituant une responsabilité de plein droit depuis cette date. C’est ce que rappelle la Cour de cassation en visant les articles du code civil et la directive de 1985.

2)    Il n’existe pas de responsabilité de plein droit des médecins

La législation instaure une responsabilité de plein droit (donc sans faute à prouver) uniquement contre les producteurs (art.1386-1, c.civ.). L’article 1386-6 définit ce qu’est un producteur. Aussi les professionnels (en tant que fournisseurs du produit) ne peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de dommage. Il faut cependant que le producteur soit identifié ou que son nom soit révélé sinon le fournisseur du produit est assimilé à un producteur et doit réparation de plein droit ; il peut ultérieurement se retourner contre le producteur (art. 1386-7). Dans le cadre des prothèses le producteur est connu et le médecin peut donc facilement le faire connaître à la victime. Il faut cependant que la victime prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Pour autant la responsabilité médicale peut être recherchée mais sur un autre fondement (art. 1386-18).

3)    Une action de droit commun est possible ; elle repose sur la preuve d’une faute médicale

Si la législation spéciale exclut le médecin de son domaine en tant que fournisseur, le droit commun reste applicable en dehors du champ de la loi de 1998. Ce droit commun de la responsabilité est celui défini par l’article L. 1142-1 du CSP et la jurisprudence ; il faut que le médecin ait commis une faute soit contre l’humanisme soit de nature technique. Notons que le texte du premier alinéa de l’article L. 1142-1 est inchangé depuis mars 2002 et qu’il prévoit une responsabilité sans faute pour les professionnels de santé dans l’usage des produis de santé. Ce texte n’a pas été réécrit malgré la nouvelle rédaction de la loi de 1998 : la décision de la Cour de cassation en tient compte et écarte cette disposition dérogatoire non conforme au droit européen quand bien même elle continue à figurer dans la loi. Un toilettage de cet article devrait avoir lieu pour lever toute ambiguïté et harmoniser les textes.

Mais cette faute est difficile à prouver ; il faut prouver qu’au moment de la pose de la prothèse il était connu que des problèmes de fissuration, de rupture anormale des prothèses étaient signalées et que le médecin n’en a pas tenu compte. Il peut s’agir d’un défaut d’information (en particulier absence de signalement que d’autres prothèses existaient), il peut s’agir d’un défaut de précaution. Tout dépend donc de la connaissance acquise au moment de la pose (et aussi des doutes qui font partie de la connaissance). Etablir cette connaissance sera donc au cœur des débats dans un procès ; elle ne sera pas la même selon la date de la pose. Dans certains cas la question est simple ; lorsqu’un chirurgien a suivi une patiente pour des ruptures successives de prothèses et qu’il a continué à utilisé le même type de prothèse il est évident qu’il y a eu faute (Cours d’appel d’Aix en Provence, 5 nov. 2008). S’il y a indemnisation elle dépendra des cas et ne sera donc pas simple à obtenir. L’expertise sera essentielle. Le médecin a la possibilité d’appeler en garantie le fabricant pour le faire condamner pour une partie de la réparation mise à sa charge.

Septembre 2012

Article de R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit - Mise à jour : 26/09/12

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