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Collaboration de plusieurs médecins et responsabilité civile

La responsabilité en cas d’exercice individuelle de la médecine repose sur des principes simples. Mais la médecine oblige souvent plusieurs  professionnels à coopérer dans le cadre de la prise en charge d’un patient. La question de la responsabilité de chacun d’eux peut être délicate à cerner lorsque survient un dommage chez  ce patient. L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 2013 apporte des éclaircissements dans ce domaine.



Mme D. est victime dans les suites d’un accouchement d’une phlébite cérébrale dont le diagnostic a été tardivement fait par le gynécologue qui la suivait, en décembre 1992. Elle recherche la responsabilité civile de ce dernier ; le praticien est condamné à réparer le  préjudice subi par la patiente à hauteur de 80% (perte de chance).
Le gynécologue  ne conteste pas sa responsabilité, mais décide d’appeler en garantie l’anesthésiste qui  avait été mandé au chevet de la patiente et qui  lui avait prescrit un antalgique.

Il est débouté en appel de sa demande en 2012 (la procédure a été longue et complexe) au motif que la phlébite était une complication de l’accouchement et non de l’anesthésie, que la patiente était dans son service et qu’enfin un tel diagnostic relevait de sa seule compétence sans qu’on puisse retenir qu’il aurait pu être posé par l’anesthésiste dans la mesure où les maux de tête lui avaient été signalés. Mme D... était sous la surveillance du médecin obstétricien seul compétent pour contrôler toutes les suites de l’accouchement, avec leurs conséquences éventuelles, partant, sous sa seule responsabilité au regard, notamment, du diagnostic qui devait être posé plus précocement. Le gynécologue  forme alors un pourvoi en cassation contre la décision des juges du fond.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si  le retard diagnostique d’une complication spécifique à un accouchement engage  la seule responsabilité du gynécologue alors  qu’un médecin d’une autre spécialité est intervenu auprès de la patiente.

La Cour de cassation au visa des articles 1147 du code civil et de l’article 64 du code de déontologie devenu l’article R. 4127-64 du code de la santé publique, va casser la décision de la cour d’appel en énonçant un principe tiré de ces deux articles ;  « l’obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement de ce patient, l’obligation pour chacun d’eux, d’assurer un suivi de ses prescriptions afin d’assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences ».

Elle en déduit que dans  la mesure où, selon les constatations de la cour d’appel, un anesthésiste  avait été appelé au chevet de Mme D... en raison de la survenance de céphalées et lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager, il lui incombait de s’informer de l’effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec le gynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l’anesthésie ou avec l’accouchement, ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des textes susvisés. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de le cour d’appel et renvoie les parties devant une autre juridiction.

 

Commentaires :

Rappelons que l’appel en garantie est une procédure d’intervention forcée par laquelle une personne dont la responsabilité est susceptible d’être engagée attrait un tiers  dont  le demandeur initial n’a pas recherché la responsabilité civile pour le voir condamner à garantir tout ou partie des sommes d’argent  qu’il devra  verser en  réparation du préjudice subi par le demandeur (article 66 du code de procédure civile). L’appel en garantie concerne uniquement les deux médecins ; la solution du litige n’a aucune influence sur la décision prise à l’égard de la patiente. Il s’agit de déterminer la façon dont la réparation sera partagée entre les auteurs du dommage.

Dans l’affaire, seule  la responsabilité du gynécologue avait été recherchée par la victime  alors qu’un autre médecin était intervenu auprès de la patiente. Le gynécologue considère que celui-ci a commis une faute qui a participé  pour partie à la réalisation du préjudice de la victime  et  il demande au tribunal  de reconnaître une part de responsabilité de ce dernier. Le gynécologue ne sera donc pas condamner à la réparation de la totalité du préjudice dont  une part sera supportée par l’autre médecin.

La responsabilité civile médicale est régie depuis 2002 par l’article L. 1142-1 du CSP et le code de déontologie, mais auparavant elle était fondée sur le droit commun des contrats d’où l’invocation par la Cour de cassation de l’article 1147 du code civil (les faits en cause remontent à 1992 et le droit applicable dans le procès est celui qui était en vigueur au moment des faits). L’article 1147 dispose que « le débiteur est condamné s’il y a lieu au paiement des dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation soit à raison du retard dans l’exécution […]. Il définit le  cadre de la faute contractuelle ; il y a faute  soit en cas d’inexécution soit retard dans l’exécution d’une obligation. Encore faut-il définir la ou les  obligations qui n’ont pas été exécutées ou qui l’ont  été avec retard.

Si la faute du gynécologue n’est pas contestée, est-elle pour autant la seule qui a été commis alors que deux praticiens ont pris en charge la patiente ? Aucune faute n’avait été retenue en appel contre l’anesthésiste  sur une argumentation assez discutable ; une complication  relevant de l’accouchement (la phlébite cérébrale) relevait de la seule compétence et responsabilité du gynécologue. C’est cette argumentation qui va être remise en cause par la Cour de cassation qui considère au vue des constatations des juges du fond qu’il y avait suffisamment d’éléments dont ils n’ont pas tenu compte qui établissaient l’existence d’une faute de l’anesthésiste.

Pour déterminer la faute de l’anesthésiste, la Cour de cassation   vise les textes qui ont été mal appliqués selon elle par les juges du fond et qui définissent les obligations des médecins dans le contexte de l’affaire qu’ils examinent.
La Cour vise  l’article 64 du code de déontologie qui n’est pas cité dans de façon fidèle au texte mais qui est interprétée afin d’expliciter son contenu par rapport à la situation envisagée.  L’article 64  alinéa 1er dispose que «  lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l’information du malade ». La possibilité de s’appuyer sur le code de déontologie pour le juge civile afin de  déterminer les fautes professionnelles a été affirmée par la Cour de cassation en 1997 : le code de déontologie ne sert pas uniquement dans la procédure disciplinaire. La Cour pointe deux types de fautes commises par l’anesthésiste au vue de son interprétation des textes.

La Cour de cassation ne limite pas son travail  à la lettre du texte mais en développe l’esprit ; le texte s’applique non seulement en cas d’examen d’un malade (donnée explicite de l’article 64) mais aussi en cas de traitement(apport de la Cour de cassation) ;  les praticiens pour assumer leur responsabilité, en cas de mise en route d’un traitement, doivent en assurer le suivi sans lequel ils ne peuvent savoir s’il est efficace ou non, voire s’il y a des effets secondaires. L’inefficacité du traitement aurait du être constaté par l’anesthésiste prescripteur : c’est la première faute. La Cour détecte une deuxième faute ; l’anesthésiste n’a pas informé  le gynécologue  de  l’échec du traitement ce qui aurait peut être permis un diagnostic plus précoce en éliminant des céphalées banales. D’une façon plus large l’article 64 n’est qu’une application d’un principe posé en 1936 par l’arrêt Mercier qui s’appuie lui-même sur l’article 1147 ; un professionnel doit « donner des soins attentifs consciencieux et conformes aux données acquises de la science ». L’anesthésiste n’a pas commis de faute contre la science (on ne lui reproche pas une erreur ou un retard diagnostique)  mais il n’a pas donné des soins attentifs et consciencieux.

L’argumentation de la Cour de cassation n’est pas critiquable ; un prescripteur ne peut se désintéresser des suites de sa prescription et s’en remettre à un autre pour cela. On peut penser que la Cour de renvoi reconnaitra une part de responsabilité pour l’anesthésiste mais il est difficile d’en prévoir le pourcentage. Les médecins doivent se tenir informer de qu’ils font et constatent dans la prise en charge d’un patient.

Bien entendu, la portée de cette décision va bien au-delà de l’affaire qui lui a donné naissance ; elle vaut pour tout les cas où un médecin intervient de façon intercurrente dans une prise en charge principalement assumée par un autre professionnel. La Cour de cassation dresse une fois de plus le  portrait  du  « bon » professionnel consciencieux et attentif.

 

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Article de R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit - Mise à jour : 31/05/13

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