Saint-Louis Réseau Sein

Une équipe pluridisciplinaire au service du patient

 

Modifier  un dossier médical : un risque pénal

Cette rubrique est assurée par R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit.

Tenir un dossier médical pour tout patient est une obligation pour les médecins  posée par le code de la santé publique tant en milieu hospitalier (article R.1112-2) qu’en milieu libéral (article R.4127-45).

Tenir un dossier médical pour tout patient est une obligation pour les médecins  posée par le code de la santé publique tant en milieu hospitalier (article R.1112-2) qu’en milieu libéral (article R.4127-45). Ce dossier  est un outil  de travail pour les médecins et une source d’information sur leur santé pour les patients. Il  peut aussi être un élément de preuve judiciaire en cas de procès. Le dossier est donc un document qui doit être tenu avec la plus grande rigueur sous peine de voir la responsabilité des professionnels ou des établissements engagée. S’il n’est pas rare que la responsabilité soit engagée au plan civil (perte du dossier par exemple), il est plus rare qu’elle le soit du point de vue pénal. Aussi l’ arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 mai 2012  qui  a confirmé une décision d’une cour d’appel ayant condamné un médecin du chef de  « délit d’altération de document pour faire obstacle à la vérité » est-il d’une grande importance.


Lors d’un accouchement des signes de souffrances fœtales apparaissent. L’enfant se présentant mal, l’obstétricien commence par faire des manœuvres externes multiples avant de se décider assez tardivement  à pratiquer une césarienne ; le fœtus est déjà engagé et son extraction va être problématique. L’enfant présente  suite à cet accouchement difficile d’importantes séquelles psychomotrices. La famille recherche la responsabilité du médecin du chef de coups et blessures involontaires devant le tribunal correctionnel.


Lors des débats,   il apparait que le médecin a modifié le  dossier de la patiente quelques jours après l’accouchement. Ces modifications ont été prouvées par comparaison entre le dossier du médecin et celui que la sage femme avait transmis à son assureur immédiatement après les faits. La sage femme avait en effet jugé prudent de prévenir son assureur et avait dans ce but réalisé une photocopie du dossier initial. Le  procureur décide alors la poursuite du médecin pour altération de document, délit prévu par l’article 434-4 du code pénal. Pour sa défense, si le médecin  reconnaît avoir modifié le dossier, il affirme qu’il n’a fait qu’apporter des précisions sur la présentation de l’enfant qu’il avait insuffisamment décrite et qu’il n’a pas altéré la vérité des faits. De plus, il affirme que l’action du chef du  délit de l’article 434-4  est prescrite puisque les faits reprochés se sont passés plus de trois ans auparavant.
En appel l’action est considérée comme non prescrite et il est reconnu coupable du délit prévu à l’article 434-4 du code pénal et condamné à une amende de 3000 euros. Le médecin forme un pourvoi en cassation qui est rejeté par la chambre criminelle. La Cour de cassation énonce que la décision de la cour d’appel est parfaitement justifiée et confirme  la condamnation du praticien qui est donc définitive.

Apport de l’arrêt


Cet arrêt soulevait deux questions de droit ;

  • Quel est le point de départ du délai de prescription de l’action pénale  en cas de falsification de preuve ?
  • Une modification a posteriori d’un dossier médical est-il un délit prévu à l’article 434-4 du code pénal ?

Le point de départ du délai de prescription


En matière de délit,  le délai de prescription de l’action pénale est de trois ans à partir du jour où les faits ont été commis  mais il existe des exceptions à ce principe (article 8 du code de procédure pénale).


Les faits dans l’affaire s’étant produits plus de trois ans avant l’audience au cours de laquelle l’altération a été constatée, il aurait semblé logique que l’action ait été prescrite. C’est l’argument du médecin en appel comme en cassation.


Toutefois, si ce délai est la règle, il existe différentes situations où la computation est différente de ce qu’énonce l’article 8 soit que le point de départ soit repoussé, soit que le délai de l’action soit prolongé (suspension ou interruption du délai de prescription).
En l’espèce la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, reprend une jurisprudence établie en 2002 par la chambre criminelle ; le délai de prescription en matière d’altération de preuve  ne court pas à compter du jour où le délit a été accompli mais à partir du jour où la réalité du délit a pu être constatée.
Le principe posé par la Cour de cassation est peu discutable ; en effet, tant que la falsification n’est pas reconnue il ne peut y avoir d’action publique. C’est donc à partir du jour  où elle est établie  qu’il faut faire partir le point de départ du calcul du délai de prescription de l’action pénale qui n’était donc pas prescrite dans l’affaire rapportée puisque la preuve de la modification du dossier n’a pu être apportée que lors de l’audience correctionnelle et que l’action a été aussitôt engagée par le procureur contre le médecin.


L’altération du dossier

Le  délit discuté dans l’arrêt est prévu au titre IV du quatrième livre du code pénal intitulé « Des atteintes à l’action de la justice », section 1re « des entraves à la saisine de la justice », à l’article 434-4 qui dispose  qu’ «  est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité […] de détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d'un crime ou d'un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables  […]  ».

Pour que le délit soit constitué il faut ;

  • Une altération  d’un document
  • dans un but précis ; faire obstacle volontairement  à l’établissement de la preuve  d’un fait qui peut être qualifié de délit ou de  crime

 Peut- on  reconnaître ces éléments dans les faits accomplis par le gynécologue-obstétricien ?  Doit-on considérer que toute modification du dossier a posteriori est proscrite ?
La réponse de la cour d’appel est nuancée. Elle affirme  qu’il est possible de modifier un dossier sous réserve  1°) que les ajouts, rectifications ou précisions apportés ne soient pas  inclus dans le corps du document à peine de porter atteinte à sa sincérité mais à la suite pour en expliquer les motifs et les identifier 2° que les corrections du rapport médical, doivent  être le fidèle reflet du déroulement de l'intervention.
En l’espèce, la cour considère que le médecin en procédant à la rectification du dossier n’a pas  respecté ces deux critères ; les modifications ont été faites  dans le corps du document et non à sa suite ; les modifications ne reflètent pas la réalité du déroulement des faits et n’ont pas eu pour but de préciser une description imparfaite ou incomplète. Le médecin à chercher en réécrivant le dossier à justifier a posteriori ses choix qui ont été causes d’un dommage pour le fœtus au prix d’un travestissement des constatations qui auraient du le mener à faire précocement une césarienne. Il a voulu rendre impossible la preuve de l’existence d’une faute de sa part pour les experts qui n’avaient en main que son dossier et non l’original dont la copie était détenue par la sage femme. La cour énonce  en effet que   cette mention n'avait pas seulement pour but de se conformer au protocole d'usage qui est d'indiquer le positionnement de la tête dans le rapport mais aussi d'induire en erreur sur la pertinence du choix de l'accouchement par voies basses ; que le médecin  conscient d'un risque d'engagement de sa responsabilité par les parents, a ainsi altéré son rapport, qui, dans sa nouvelle version, était susceptible de faire obstacle à la manifestation de la vérité.
Il ne suffit pas que le document ait été altéré pour faire obstacle à l’établissement d’une faute du médecin, il faut encore que cette faute ait pu faire qualifier son acte de délit ou de crime ; c’est bien l’incrimination délictuelle de coups et blessures involontaires qui avait justifié l’action des parents. Tous les éléments du délit sont bien réunis.

Conclusion


Tout médecin doit être très prudent s’il veut apporter des modifications a posteriori au dossier d’un patient surtout lorsque se profile un risque de contentieux.  S’il juge nécessaire de la faire, la modification ne doit pas consister à réécrire le dossier, mais à le compléter de manière à ce qu’il n’y ait pas de doute sur la nature rectificative de l’écrit : il doit donc suivre l’observation initiale  sans la modifier.  La rectification ne peut se justifier que si elle apporte une précision qui n’a pas été portée dans l’observation initiale. En aucun cas, l’écrit ne doit avoir pour but de masquer la vérité des faits ou de camoufler une erreur.
La portée de cet arrêt doit être considérée comme  large ; sa solution  s’applique non seulement à l’observation médicale mais aussi à tous les comptes rendus d’examens complémentaires ou aux courriers entre professionnels quel que soit le domaine d’activité des praticiens. Cette solution est aussi à prendre en compte pour la tenue du dossier infirmier.
Novembre 2012.

 

Article de R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit - Mise à jour : 14/11//12

Saint-Louis Réseau Sein
1, avenue Claude Vellefaux
75475 PARIS cedex 10

Mentions légales - Saint-Louis Réseau Sein© 2006


Secrétariat : 01 42 49 47 48 - Fax : 01 42 01 62 32