Saint-Louis Réseau Sein

Une équipe pluridisciplinaire au service du patient

Pour une orientation et une prise en charge multidisciplinaire des patient(e)s à risque génétique de  cancer du sein : Pour qui, Pourquoi, Comment ?

Par le Dr Odile Cohen-Haguenauer - Centre des maladies du Sein, Hôpital Saint-Louis - Paris

Sommaire :


 Pourquoi?

Environ 5 à 10 % des cancers du sein apparaissent dans un contexte familial. Dans la majorité des cas, ces cancers surviennent avant l’âge où est instauré un dépistage systématique dans la population générale ; en outre, les tumeurs ont souvent un caractère bilatéral, multifocal. Dans la tranche d’âge 25-40 ans, la contribution de la génétique dans la détermination  des cancers de l'adulte jeune dépasse un tiers des cas. La consultation d’oncogénétique et de dépistage précoce des cancers permet de reconnaître un contexte de prédisposition familiale  et de mettre en place une stratégie de surveillance ciblée sur la population de sujets très jeunes qui autrement n’en bénéficieraient pas.

Des modalités de prise en charge et de surveillance spécifiques sont nécessaires afin de suivre au mieux les personnes à risque. Ces modalités  sont susceptibles d’évoluer au cours du temps  en fonction des progrès médicaux que reflètent les recommandations établies au cours de concertations nationales du Groupe « Génétique et Cancer » (CGC) de la Fédération Nationales des Centre de Lutte contre le Cancer. Le CGC rassemble les responsables des consultations d’oncogénétique au niveau National. Les recommandations du Groupe, protocoles et procédures, sont prises en compte dans la pratique de l’équipe multidisciplinaire basée au niveau de chacun des centres où existe une consultation d’Oncogénétique.

Le risque héréditaire est lié à un trait génétique variant, survenu dans les générations antérieures puis transmis de génération en génération, appelé mutation qui est apparue dans un des gènes intervenant dans la fonction des glandes mammaires : les gènes BRCA1 et BRCA2. Chez approximativement une personne sur 500, l'un de ces gènes est altéré et il est à l’origine d’une prédisposition génétique majeure aux cancers du sein et de l’ovaire. Le risque tumoral mammaire, cumulé au cours de la vie, est important. Le risque d’atteinte ovarienne est également élevé, mais moins  que le risque mammaire. Il est plus difficile à préciser, car probablement différent d’une famille à l’autre.

Les altérations génétiques sont héréditaires, c’est-à-dire que dans la majorité des cas elles proviennent de nos ascendants et peuvent être transmises à notre descendance : en effet, nous transmettons à nos enfants la moitié de nos gènes. Par conséquent le risque de transmettre une mutation est de 50%. La susceptibilité aux tumeurs suit le plus souvent une hérédité autosomique dominante à pénétrance variable, ce qui signifie, en pratique, qu'environ un individu sur deux ou un individu sur trois dans la descendance d'un porteur du gène muté va être atteint de la maladie. La prédisposition peut provenir indifféremment d'un gène transmis par le père ou la mère : la transmission de la mutation délétère n'est pas liée au sexe.  Par contre, l'atteinte d'un organe cible (comme l'ovaire) peut l'être. Statistiquement, dans chaque fratrie, un enfant sur deux est porteur. Cependant  dans certaines fratries, tous les enfants sont porteurs et dans d’autres aucun ne l’est : il est important de savoir que la transmission n’est pas obligatoire.

Dans le cas où un gène muté est transmis, toutes les cellules de l’organisme contiennent cette même version mutée du gène. Ainsi, le trait génétique peut être détecté à partir d’une simple prise de sang.

L’oncogénétique a des conséquences importantes en santé publique et requiert en outre, des dispositions éthiques appropriées. Il s'agit en effet d'une discipline médicale particulière du fait de la nécessité d'une offre de soins et de prise en charge qui concerne un individu à titre individuel et de façon strictement confidentielle ; par contre, la connaissance d'informations relatives à l'histoire de ses  antécédents familiaux sur plusieurs générations, est indispensable. En effet, le médecin oncogénéticien constate, de génération en génération, la verticalité de transmission de : (i) la maladie cancéreuse et (ii) du risque de la développer chez des individus asymptomatiques et susceptibles d’avoir hérité d’un trait génétique favorisant le développement du cancer. La prise en charge requiert le concours de compétences multidisciplinaires qui convergent dans l’intérêt du patient qui consulte, dit "proposant". Selon la volonté ou la capacité de celui-ci à approcher ses parents, cette offre peut en outre concerner l'ensemble des individus à risque composant la branche familiale que le médecin n'est pas autorisé à contacter directement mais uniquement par son intermédiaire.

L’oncogénétique est une activité qui mobilise des compétences transversales et multidisciplinaires. Au Centre des Maladies du Sein, la proposition de prise en charge mobilise sénologue/gynécologue, radiologue, anatomo-pathologiste, cancérologue, chirurgien carcinologiste et reconstructeur et  psychologue, dont la fluidité est assurée par un personnel paramédical formé, avec un encadrement conscient des enjeux et des difficultés qu’il contribue à aplanir et/ou surmonter.

Depuis la découverte il y a près de dix ans des gènes de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire, BRCA1 & BRCA2   l’offre de soins en oncogénétique qui s’adresse tant aux personnes affectées par la maladie qu’à celles, indemnes et à haut risque de la développer, a considérablement évolué et devra continuer à le faire. En effet, le diagnostic biologique des mutations des gènes connus est désormais disponible et gratuit. Ce diagnostic biologique est en passé du statut d’investigation de recherche à celui de résultat formalisé rendu au patient.

La pertinence de l'approche biologique est définie à travers l'identification d'un syndrome héréditaire, qui va guider le mode d'emploi des tests moléculaires disponibles. S'agissant du cancer du sein, les principaux gènes connus gouvernent une hérédité associée au risque sur l'ovaire ; dans certaines familles, on peut n'observer que des cancers du sein ou au contraire, uniquement des cancers de l'ovaire. Les  gènes impliqués aujourd'hui identifiés sont les suivants :

  1. BRCA1 (chromosome 17q12-21 ; 21 exons, >5400 bp ; 1863 AAs) : 20 à 25% des cancers héréditaires sein/ovaire et ovaire seul, avec souvent un rajeunissement de l'âge de survenue au fur et à mesure des générations ; associés à une augmentation du risque relatif de cancers du colon ou de la prostate, mais ceux-ci sont bien plus tardifs par comparaison à l'âge du diagnostic pour ceux du sein et/ou ovaire;
  2. BRCA2 (chromosome 13q12-13) : 30 à 35% des cancers du sein (ovaire) ; avec parfois cancers du sein chez l'homme et une augmentation significative du risque relatif de cancers du pancréas ou de mélanomes;
  3. Très récemment, le gène PALB2 a été identifié (interagit avec BRCA2) ; il semble responsable d'une augmentation du risque relatif du cancer du sein et de la prostate mais pas du cancer de l'ovaire.

Quand un risque héréditaire est soupçonné dans une famille, nous proposons une prise de sang pour la recherche de mutation en cause chez une personne atteinte de cancer. Cette mutation peut être située n’importe où sur le gène, elle est donc souvent différente d’une famille à une autre. L’étape limitante de ces tests de prédisposition est donc l’identification de l’altération génétique responsable dans une famille donnée. Ces analyses sont très complexes, donc très longues (en moyenne une année-bien que ce délai tende à se raccourcir).

Si on découvre une mutation, on peut la rechercher chez les personnes apparentées qui n’ont pas de cancer.  En effet, si une altération génétique est identifiée, celle-ci est la base même d’un test génétique proposé aux autres membres de la famille : un résultat individuel peut-être rendu aux personnes qui le souhaitent. Le rendu de résultat nécessite deux prélèvements (pour vérification) et éventuellement une consultation auprès d’un psycho-oncologue, qui est hautement recommandée. Actuellement le résultat individuel ne peut-être donné que dans le cadre d’une consultation oncogénétique et chez un sujet majeur. Dans ce contexte, un résultat négatif prend toute sa signification : le sujet testé n’est pas porteur de la prédisposition identifiée dans la famille. Les femmes qui n’ont pas de mutation héréditaire ont un risque de cancer du sein de 7-10% pour la vie entière. Par contre, les femmes qui ont reçu la mutation ont un risque qui peut aller jusqu’à 60- 80% d’avoir un cancer du sein au cours de leur vie et ont donc besoin d’une prise en charge appropriée.

Il se peut que nous ne découvrions aucune altération génétique. Cette situation peut être liée à une anomalie non décelable par nos techniques actuelles, à une anomalie qui se situerait sur un gène que nous ne connaissons pas encore, ou tout simplement parce que il n’y a pas de mutation génétique délétère dans la famille. En cas de résultat négatif, les limites actuelles des connaissances d’une part et les possibilités techniques d’autre part conduisent à considérer ce résultat comme non informatif : il diminue le risque d’existence d’une prédisposition dans la famille, mais ne l’élimine pas. Enfin, le regroupement des familles à l’évidence concernées par un trait héréditaire prédisposant au cancer, chez lesquelles aucun des gènes identifiés à ce jour ne semble altéré devrait permettre la découverte de nouveaux gènes impliqués dans la prédisposition héréditaire au cancer du sein ; celle-ci repose sur la qualité de la description et de la classification de ces familles.

La prise en charge nécessite la collaboration de différents médecins. La consultation d’oncogénétique sert à mesurer un risque individuel susceptible d'avoir des conséquences éventuelles à titre collectif. La conduite pratique est très variable en fonction de multiples facteurs qui tiennent à la famille (type de cancer, âge de survenue, gravité,…) et à la personne (âge, situation familiale, préférences personnelles, antécédents…).

Comment ?

  • La démarche prédictive, dans une famille donnée, a donc lieu en deux étapes :
    1. Identification de la mutation chez un sujet "index", affecté. Cette première étape est longue, délicate et limitante, technologiquement lourde ; parfois infructueuse;
    2. Puis recherche de cette altération chez les “candidats au test” (recherche secondaire). étape qui correspond au test génétique proprement dit. Elle consiste à rechercher chez les apparentés indemnes, la mutation génétique identifiée chez le cas index. Le risque d'hériter de la mutation est de un sur deux (soit 50%).

Un résultat négatif  permet de retenir que la personne testée n’a très vraisemblablement pas hérité de la prédisposition familiale. Le risque de cancer est comparable à celui de la population générale. Un résultat négatif signe l’absence de transmission à la descendance, dans la limite de nos connaissances actuelles.

Lorsque le test est positif, se pose le problème de la prise en charge d’un adulte jeune dont le risque tumoral est important ainsi que la possible transmission du gène altéré à ses enfants.

Cet examen est anodin en lui-même, mais ses conséquences ne le sont pas : il n’est pas neutre pour chacun de connaître son statut de porteur ou non de cette mutation avec toutes les conséquences que cette découverte suppose. Conscient de l’importance psychologique que revêtent ces résultats, le protocole demande :

  1. Que la prise de sang soit accompagnée d’un formulaire de « consentement éclairé » précisant que les candidats au test sont bien informés de ce que représente cet examen ;
  2. Qu'une prise en charge et un accompagnement avec un psychologue spécialisé intervienne autour de la communication des résultats.

Pour qui ?

  • Qui est concerné par cette démarche ?
    1. Les membres de la famille âgés de plus de 18 ans : il est inutile de tracasser les enfants mineurs avec cette perspective, dans la mesure où aucune mesure particulière ne sera envisagée ;
    2. Les têtes de génération en priorité : si le résultat est négatif pour une personne, il sera négatif pour toute sa descendance ;
    3. Des brochures et notes d'information portant sur chacune des étapes ont été préparées et sont remises par l'Oncogénéticien lors des consultations au Centre des Maladies du Sein, adossé au réseau Saint-Louis Réseau Sein.
  • Recommandations relatives au Dépistage du Cancer du Sein avec Risque Familial :

Le dépistage du cancer du sein chez les femmes appartenant à une famille à risque est annuel et doit être au mieux débuté 5 ans avant l’âge du diagnostic le plus précoce dans la famille : par exemple, si le diagnostic de cancer a été porté au plus tôt à l’âge de 40 ans, la surveillance annuelle doit être entreprise à partir de l’âge de 35 ans. Un examen est de toutes façons au mieux réalisé dès 30 ans à titre de référence et par précaution.

L’intervalle de trois ans entre deux mammographies normales préconisé dans la population générale, n’est pas approprié à la surveillance d’une femme à risque familial. Il est indispensable de communiquer ce contexte familial au radiologue qui pratique les examens et en module la réalisation, au besoin.

Le dépistage par mammographie annuelle avec double incidence est longtemps resté l’examen de référence. La pratique d’une échographie mammaire doit y être associée ; en effet, elle aide à  l’interprétation de la mammographie et est utile en particulier chez les femmes jeunes ou en cas de mastose. Chez les femmes jeunes, les seins sont plus denses et les anomalies plus difficiles à détecter. Les mammographies systématiques ne sont jamais réalisées avant l’âge de 25 ans, l’interprétation en étant extrêmement délicate et l'irradiation associée susceptible d'avoir des  conséquences non négligeables. L’IRM à haute résolution est très vivement recommandée, en particulier chez les femmes jeunes, avec une sensibilité telle qu'elle tend à devenir l'examen de référence qui va guider l'interprétation des mammographies et échographies réalisée a posteriori, alors plus facilement interprétables, grâce à l'IRM. Si celle-ci est normale, elle rend très improbable la possibilité d’un processus tumoral bénin ou malin. Un projet de grossesse justifie la vérification des seins par IRM avant la conception.

Il faut en outre envisager une surveillance ovarienne, compte-tenu du risque associé, dans le contexte des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 qui gouvernent l’hérédité aux deux types de cancer, sein et ovaire. L’échographie pelvienne, au mieux transvaginale, est le meilleur examen actuellement disponible ; sa sensibilité n’est cependant pas optimale ; de même que celle du marqueur CA125.

L’objectif des examens de dépistage est la détection d’anomalies de petite taille dont la guérison complète est possible. Le repérage mammographique (voire désormais possible sous IRM) permet de guider une exérèse  limitée. Le diagnostic précoce conduit ainsi à un traitement adapté, curatif, au mieux pris en charge dans un contexte multidisciplinaire qui garantit le suivi des personnes apparentées, à risque, par la mise en place des dispositions de dépistage. Les recommandations nationales de prise en charge des personnes porteuses d’une mutation génétique prouvée, envisagent en outre la possibilité d’interventions chirurgicales prophylactiques. Dans l’éventualité où les seins comportent de nombreuses lésions dont l’interprétation radiologique devient trop incertaine, une prévention chirurgicale pourrait être envisagée (ablation des seins) par précaution ; une telle décision doit être pesée et ne saurait être prise à la légère.

Si la recherche médicale progresse, nous ne possédons pas encore malheureusement à ce jour de méthode de dépistage fiable du cancer de l’ovaire : celui-ci se développant en interne sans douleur apparente, il est très difficile de le détecter. La seule prévention réellement efficace qui peut être proposée aujourd’hui aux femmes porteuses de l’anomalie génétique qui les prédispose au cancer de l’ovaire est la chirurgie prophylactique préventive, c'est-à-dire l’ablation des ovaires et des pavillons des trompes (sans ablation de l’utérus) : il s'agit donc d'une annexectomie bilatérale sans hystérectomie. La fonction hormonale ovarienne pourrait être artificiellement compensée si la femme en ressent un besoin et sous réserve qu'elle adhère à un programme de surveillance stricte. Cette intervention peut-être proposée aux femmes qui sont porteuses de l’anomalie génétique familiale, lorsqu'elles ont eu leurs enfants et ont passé l’âge de 40-45 ans ou proches de la ménopause (au mieux 4-5 ans avant l’apparition du cancer familial de l'ovaire le plus précoce).

Ces modalités représentent un canevas d’information et de recommandations générales. La prise en charge médicale doit être envisagée au cas par cas et faire l’objet d’entretiens avec le médecin et l’équipe multidisciplinaire qui inclut des psychologues spécialisés. Il appartient bien entendu à chacun de choisir s’il souhaite ou non engager cette démarche : chacun est libre de préférer savoir ou non et au moment qui lui paraîtra envisageable.

Documentation  utile : Brochure Information aux patientes, Groupe Génétique & Cancers : Livret SOR : http://www.fnclcc.fr.


Docteur Odile Cohen-Haguenauer
Centre des maladies du Sein, Hôpital Saint-Louis
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Rendez-vous : 01 42 49 42 62 - Email: odile.cohen-haguenauer@sls.aphp.fr

Mise à jour : 10/03/09

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