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Etre surchargé de travail n’est pas une cause d’exonération de responsabilité civile pour la Cour de cassation

Cette rubrique est assurée par R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit.

La question des déserts médicaux est au cœur des réflexions de la nouvelle organisation des soins (Loi HPST). S’il y a pénurie dans certaines spécialités, il peut donc être difficile pour les patients d’avoir des rendez-vous en urgence. Cette difficulté structurelle est-elle prise en compte par la jurisprudence ? L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 apporte une réponse à cette question.

M. X..., atteint de diabète, a consulté Mme Y..., médecin ophtalmologue, en 1993, 1998, 2000, puis le 7 janvier 2002 ; qu’à cette date, le médecin a pratiqué un fond d’oeil qui n’a pas révélé de signes de rétinopathie diabétique. Des troubles visuels étant apparus en mai 2002 puis en novembre de la même année, M. X..., qui n’avait pu obtenir un rendez-vous avant mai 2003, a consulté son médecin traitant qui l’a adressé à un autre médecin ophtalmologiste, lequel a diagnostiqué le 27 février 2003, une rétinopathie diabétique bilatérale, compliquée d’une hémorragie du vitré à gauche, qui a nécessité plusieurs traitements et interventions, lesquels ont laissé subsister d’importantes séquelles.
La société MACSF assurances, assureur de Mme Y..., ayant refusé, malgré un avis de la CRCI de Haute-Normandie concluant à la responsabilité de ce praticien, de formuler une offre d’indemnisation, l’ONIAM a indemnisé M. X..., puis a exercé un recours subrogatoire à l’encontre de Mme Y... et de son assureur.

La cour d’appel de Versailles a déclaré Mme Y... responsable d’une faute de surveillance ayant entraîné pour M. X... une perte de chance de 50 % d’éviter les complications qu’il a présentées, et l’a condamnée in solidum avec la MACSF à payer à l’ONIAM les sommes de 54 268, 03 euros, au titre de l’indemnisation de M. X... ainsi que diverses autres sommes.
Un pourvoi en cassation est formé ; nous ne nous intéresserons qu’à la première critique de l’arrêt de la cour d’appel qui est relatif à la responsabilité médicale.

La question était de savoir si un médecin qui ne peut donner un rendez-vous rapide à un patient dont il résulte un dommage du au retard diagnostic et thérapeutique, commet une faute source de responsabilité civile ? 

Pour la cour de Cassation la réponse est positive.
La cour d’appel, a constaté que, selon l’expert, la rétinopathie était une complication quasi constante du diabète, que lors de l’examen du 7 janvier 2002, les facteurs favorisant l’apparition de la rétinopathie diabétique étaient réunis et que Mme Y..., qui suivait M. X... depuis 1993, n’ignorait pas que celui-ci ne se soignait pas de façon rigoureuse, a estimé que cette dernière aurait dû, compte tenu de ces circonstances, mettre en place une surveillance accrue de son patient ; elle a en outre relevé que Mme Y..., alertée par M. X... à deux reprises, postérieurement à cette consultation, des troubles visuels qu’il présentait, avait refusé d’avancer le rendez-vous fixé au mois de mai 2003, sans prendre la peine de diriger son patient vers un autre confrère, quand la surcharge des cabinets ne constituait pas une excuse, le médecin devant réserver les cas d’urgence.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a pu déduire de ces éléments que Mme Y... avait commis une faute de surveillance ayant entraîné une perte de chance pour M. X... de recevoir un traitement au laser plus précoce et d’éviter les séquelles dont il était atteint.    
Le pourvoi est rejeté.
Cet arrêt rendu dans le cas d’un retard de prise en charge en ophtalmologie a bien entendu une portée qui va au delà de cette spécialité ce qui justifie que nous en faisions état.
En effet cette décision est porteuse d’un message valable pour tous les professionnels de santé et qui comporte plusieurs points ;
- un médecin ne doit pas prendre de décision vis-à-vis d’un patient sans précaution et la fixation d’un rendez-vous est considérée comme un acte engageant la responsabilité du médecin. Il doit s’enquérir personnellement du motif de la demande surtout s’il connaît le patient lorsque ce dernier présente des risques de complication de sa pathologie (ou de son traitement). On retrouve l’esprit des articles 32 et 33 du code de déontologie.
- la surcharge de travail n’est pas prise en compte comme une excuse c'est-à-dire une cause d’exonération de responsabilité civile. Les difficultés rencontrées par les professionnels ne sont pas des éléments pertinents pour la jurisprudence qui précise dans l’arrêt rapportée qu’un médecin doit garder des créneaux pour les urgences…..ce qui est dans certains cas assez irréaliste. Les difficultés professionnelles ne sont pas des cas de force majeure qui seules peuvent avoir un effet exonératoire de responsabilité.
- Une échappatoire est laissée aux professionnels ; adresser le patient à un autre confrère ce qui suppose que ce dernier a une activité moindre…
- Une autre exigence ; instaurer une surveillance rapprochée pour les patients à risques ce qui ne peut qu’accroitre la surcharge d’activité …

Article de R. Mislawski, docteur en médecine, docteur en droit - Mise à jour : 9/05/12

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